TRAITE D'ALLIANCE EVENTUELLE & DEFENSIVE
Le Roi Très-Chrétien & les États-unis de l'Amérique septentrionale, savoir New Hampshire, la Baye de Massachusset, Rhode Island, Connecticut, New York, New Jersey, Pensylvanie, Delaware, Maryland, Virginie, Caroline septentrionale, Caroline méridionale & Géorgie ; ayant conclu ce jourd'huy un Traité d'Amitié, de bonne intelligence & de commerce, pour l'avantage réciproque de leurs Sujets & Citoyens, ils ont cru devoir prendre en considération les moyens de resserrer leurs liaisons & de les rendre utiles à la sûreté & à la tranquilité des deux Parties, notament dans le cas où la Grande-Bretagne, en haine de ces mêmes liaisons & de la bonne correspondance qui forment l'objet du dit Traité, se porteroit à rompre la paix avec la France, soit en l'attaquant hostilement, soit en troublant son commerce & sa navigation, d'une maniere contraire au droit des gens & à la paix subsistante entre les deux Couronnes ; Et Sa Majesté & les dits Etats-unis ayant résolu éventuellement d'unir, dans le cas prévu, leurs conseils & leurs efforts contre les entreprises de leur ennemi commun, les Plenipotentiaires respectifs, chargés de concerter les clauses & conditions propres à remplir leurs intentions, ont, après la plus mure délibération, conclu & arresté les points & articles qui s'ensuivent.
ARTICLE PREMIER
Si la guerre éclate entre la France & la Grande Bretagne, pendant la durée de la guerre actuelle entre les Etats-unis & l'Angleterre, Sa Majesté & les dits États-unis feront cause commune & s' entr'aideront mutuellement de leurs bons offices, de leurs conseils & de leurs forces, selon l'exigence des conjonctures, ainsy qu'il convient à de bons & fideles alliés.
ARTICLE SECOND
Le but essentiel & direct: de la présente alliance deffensive est de maintenir efficacement la liberté, la souveraineté & l'indépendance absolue & illimitée des dits États-unis, tant en matière politique que de commerce.
ARTICLE TROIS
Les deux Parties contractantes feront
chacune de leur côté, & de la maniére qu'elles jugeront plus
convenable, tous les efforts, qui seront en leur pouvoir, contre
leur ennemi commun, afin d'atteindre au but qu'elles se proposen
ARTICLE QUATRE
Les Parties contractantes sont convenues
que dans le cas où l'une d'entre Elles formeroit
quelqu'entreprise particuliére, pour laquelle elle désirerait le
concours de l'autre, celle ci se prêteroit de bonne foi à un
concert sur cet objet, autant que les circonstances & sa propre
situation pourront le lui permettre ; & dans ce cas, on reglera
par une Convention particulière la portée des secours à fournir,
& le tems & la maniére de la faire agir, ainsy que les
avantages destinés à en former la compensation.
ARTICLE CINQ
Si les États-unis jugent à propos de tenter la reduction des Isles Bermudes & des parties septentrionales de l'Amérique qui sont encore au pouvoir de la Grande Bretagne, les dites Isles & Contrées, en cas de succès, entreront dans la confédération ou seront dépendantes des dits Etats-unis.
ARTICLE SIX
Le Roi Très Chrétien renonce à posseder jamais les Bermudes ni aucune des parties du Continent de l'Amérique Septentrionale qui, avant le Traité de Paris de mil sept cent soixante trois, ou en vertu de ce Traité, ont été reconnues appartenir à la Couronne de la Grande Bretagne ou aux Etats-unis, qu'on appelloit ci devant Colonies Britanniques, ou qui sont maintenant ou ont été récemment sous la jurisdiction & sous le pouvoir de la Couronne de la Grande Bretagne.
ARTICLE SEPT
Si Sa Majesté Très Chrétienne juge à
propos d'attaquer aucune des Isles situées dans le Golphe de
Mexique ou près du dit Golphe, qui sont actuellement au pouvoir de
la Grande Bretagne, toutes les dites Isles, en cas de succès,
appartiendront à la Couronne de France.
ARTICLE HUIT
Aucune des deux Parties ne pourra conclure ni treve ni paix avec la Grande Bretagne, sans le consentement préalable & formel de l'autre Partie, & Elles s'engagent mutuellement à ne mettre bas les armes, que lorsque l'indépendance des dits Etatsunis aura été assurée formellement ou tacitement par le Traité ou les Traités qui termineront la guerre.
ARTICLE NEUF
Les Parties contractantes déclarent,
qu'étant résolues de remplir chacune de son côté les clauses &
conditions du présent Traité d'alliance selon son pouvoir &
les circonstances, Elles n'auront aucune répétition ni aucun
dédommagement à se demander réciproquement, quelque puisse être
l'évènement de la guerre.
ARTICLE DIX
Le Roi Très Chrétien & les
États-unis sont convenus d'inviter de concert ou d'admettre les
Puissances qui auront des griefs contre l'Angleterre, à faire
cause commune avec Eux, & à accéder à la présente alliance, sous
les conditions qui seront librement agréées & convenues entre
toutes les Parties.
ARTICLE ONZE
Les deux Parties se garantissent
mutuellement dès à présent & pour toujours envers & contre
tous, Savoir, les États-Unis à Sa Majesté Très Chrétienne les
possessions actuelles de la Couronne de France en Amérique, ainsy
que celles qu'Elle pourra acquérir par le futur Traité de paix ; Et
Sa Majesté Très Chrétienne, garantit de son côté aux Etats-unis leur
liberté, leur souveraineté & leur indépendance absolue &
illimitée, tant en matière de politique que de commerce, ainsy que
leurs possessions & les accroissements ou conquêtes que leur
confédération pourra se procurer pendant la guerre, d'aucun des
Domaines maintenant ou ci devant possédés par la Grande Bretagne
dans l'Amérique septentrionale, conformément aux articles cinq &
six ci dessus, & tout ainsy que leurs possessions seront fixées
& assurées aux dits Etats, au moment de la cessation de leur
guerre actuelle contre l'Angleterre
ARTICLE DOUZE
Afin de fixer plus précisément le sens
& l'application de l'article précédent, les Parties
contractantes déclarent qu'en cas de rupture entre la France &
l'Angleterre, la garantie réciproque énoncée dans le sus dit
article, aura toute sa force & valeur du moment où la guerre
éclatera, & si la rupture n'avoit pas lieu, les obligations
mutuelles de la ditte garantie, ne commenceraient que du moment
sus dit où la cessation de la guerre actuelle entre les États-unis
& l'Angleterre aura fixé leurs possessions.
ARTICLE TREIZE.
Le présent Traité sera ratifié de part & d'autre & les ratiffications seront échangées dans l'espace de six mois ou plustôt, si faire se peut.
EN FOI de quoi les
Plénipotentiaires respectifs savoir de la part du Roi Très
Chrétien le Sr. Conrad, Alexandre Gerard, Sindic royal de la ville de
Strasbourg & Secrétaire du Conseil d'État de Sa Majesté, &
de la part des Etats-unis les Srs. Benjamin Franklin, Député au
Congrès général de la part de l'État de Pensylvanie &
President de la Convention du même Etat, Silas Deane, Cy devant
Député de l'État de Connecticut, & Arthur Lee, Conseiller ès loix,
ont signé les articles ci dessus, tant en langue françoise qu'en 1
langue angloise, déclarant néanmoins que le present Traité, a été
originairement redigé & arrêté en langue françoise, & ils
les ont munis du cachet de leurs armes.
Fait à Paris, le sixieme jour du mois de fevrier mil sept cent soixante dix-huit.
Sceau. C. A. GERARD.
Sceau. B. FRANKLIN.
Sceau. Silas DEANE.
Sceau. Arthur LEE.